Théorie de l’évolution : la sélection naturelle, plus rapide en ville
Nous associons la théorie de l’évolution à un long processus nécessitant des milliers d’années pour arriver à un résultat. Pourtant, ce n’est pas toujours le cas. La sélection naturelle peut être ultra-rapide et causer d’énormes modifications en l’espace de quelques générations. Nous pouvons avoir un aperçu de l’évolution chez nous en « live », souvent en réponse aux changements que nous avons-nous-mêmes induits.
La ville : véritable plaine de jeu pour l’évolution
La ville est un excellent exemple de nouveau paysage auquel les organismes doivent s’adapter à la vitesse de l’éclair. En mars, vous avez pu constater sur NotreNature.be que les faucons pèlerins pouvaient bâtir leur nid dans un environnement urbain et troquaient volontiers les falaises escarpées pour nos gratte-ciels, disposant ainsi de pigeons bisets à volonté. Il ne s’agit pas d’une nouvelle espèce à proprement parler, mais la capacité d’adaptation de ce rapace est phénoménale.
La "sédentarisation" des pissenlits urbains
Les modifications de comportement sont souvent assorties de changements génétiques, car la plus célèbre loi de la nature énoncée par Darwin précise que les spécimens mieux adaptés ont plus de chances de survivre. Il s’avère que les pissenlits qui poussent en environnement urbain répandent leurs aigrettes moins loin qu’à la campagne. Pourquoi cette adaptation est-elle nécessaire ? Les espaces verts se font rares en ville, mieux vaut que les graines restent sur la même parcelle de terrain. Les pissenlits urbains aux aigrettes plus grandes, plus lourdes et moins volatiles ont un avantage génétique certain : leurs graines ont plus de chances de germer.
Les papillons de nuit ne se laissent pas berner
L’évolution a aussi appris à réagir à la pollution lumineuse, du moins du côté des yponomeutes. S’il vous arrive de vous promener en ville le soir, vous avez certainement déjà croisé un groupe de papillons de nuit qui voletait autour d’un lampadaire. La lumière semble exercer une force d’attraction irrésistible sur ces insectes, à laquelle ils sont pourtant de plus en plus indifférents. Des chercheurs suisses ont rassemblé des centaines de chenilles d’yponomeutes provenant d’environnements urbains et ruraux pour réaliser une expérience unique. Quand celles-ci se sont métamorphosées en papillons dans le laboratoire, les scientifiques ont relâché les spécimens dans une pièce noire éclairée par une seule lampe. Si les yponomeutes prélevés dans la nature se sont directement dirigés vers la source de lumière, les papillons de nuit urbains ont dédaigné l’éclairage artificiel et ont continué leur vie comme si de rien n’était. Preuve indiscutable que la « mentalité urbaine » est bien ancrée dans les gènes !
Les araignées et les escargots optent pour la tenue parfaite
Les hipsters existent-ils aussi chez les animaux ? Il a été prouvé que certaines espèces adaptent leur garde-robe à la ville. L’escargot des haies en fait partie : il revêt généralement une couleur plus claire en ville que ses congénères ruraux. Il emmagasine ainsi moins vite la chaleur émanant des immeubles et de l’asphalte quand la température grimpe.
Le même effet semble apparaître chez les araignées, sujettes en ce moment d’une expérience citoyenne au sein de notre pays. En rassemblant des photos d’araignées et de leurs toiles dans tous types de biotopes, les chercheurs tentent de valider leur hypothèse. Plus claires que leurs congénères, les araignées urbaines se reconnaissent aussi à leurs toiles plus fines. Elles s’adaptent ainsi à l’absence de grosses proies (comme les libellules ou les criquets).
Le merle urbain : une nouvelle espèce ?
Les exemples ci-dessus ne montrent que des adaptations poussées à une nouvelle vie, mais il peut arriver que les nouvelles caractéristiques de l’espèce soient si nombreuses qu’elles donnent naissance à une espèce à part. Le merle n’a pas encore atteint ce stade, car cet oiseau s’est entre-temps acclimaté à la vie urbaine :
- Il ne migre plus vers le sud mais reste toute l’année en ville
- Son bec est plus court et plus solide, probablement pour faciliter sa recherche de nourriture dans les jardins urbains
- Son chant est plus aigu pour couvrir le vacarme de la ville
- Il se met à chanter au milieu de la nuit et pas au lever du soleil pour anticiper le bruit des embouteillages
- Il s’accouple un mois plus tôt vu qu’il ne doit pas entreprendre de migration de retour dans nos campagnes.
Il est important de noter que les adaptations ci-dessus ont été observées une par une chez des oiseaux de provenances différentes qui étaient nés en captivité. Il est donc ici question de changements dans la « nature » (génétique) plutôt que dans la « culture » (circonstances). Nous n’en sommes pas encore à ce stade, mais les scientifiques s’attendent à ce que le merle urbain devienne rapidement la première espèce urbaine officielle.
Pourquoi l’évolution se produit-elle plus vite en ville ?
La capacité des animaux et des plantes à s’acclimater à la ville en l’espace de quelques générations est liée à l’intensité de la vie urbaine. Nous pourrions même parler d’un « environnement extrême », à des années lumières de leur nature originelle. Cela signifie que les risques inhérents à la vie dans ce milieu sont considérables, mais aussi qu’une mutation bien placée peut directement accorder de grands avantages. C’est pourquoi la sélection naturelle se produit bien plus vite dans des conditions extrêmes : une modification qui offre de meilleures chances de survie à un spécimen se répand beaucoup plus rapidement.
Ce phénomène se nomme « human-induced rapid evolutionary change » (HIREC), soit une « évolution rapide causée par l’homme ». Il n’apparaît pas uniquement dans les villes, mais est également une conséquence des changements climatiques ou une réaction à l’utilisation de pesticides et d’antibiotiques. Cela signifie-t-il que nous pouvons continuer à transformer la nature sans nous poser de questions ? Certainement pas. Pour chaque organisme qui se développe en ville, des dizaines d’autres ne parviennent jamais à s’adapter. Pour ces espèces, il est capital que nous nous engagions à protéger la nature.