L'évolution et ses avantages
Nous avons longtemps cru que Dieu avait façonné la nature et son immense diversité. Nous savons à présent que la créatrice des mille et une odeurs, couleurs et formes qui peuplent notre nature est l'évolution établie par la sélection naturelle. Jetons un œil à ce phénomène étonnant.
La lutte pour la survie
L'une des caractéristiques primordiales de l'évolution est la variation entre les individus au sein d'une même espèce. Celle-ci détermine quels individus seront mieux adaptés à un milieu hostile qui renferme peu de nourriture ou d'eau. Ces spécimens sont ceux qui auront le plus de chances de survivre – et de pouvoir se reproduire. Leur descendance héritera à son tour de leurs caractéristiques bien utiles, et aura plus de chances de survivre, de se reproduire et de transmettre à nouveau ces qualités. C'est donc l'environnement qui détermine les survivants : l'évolution et la sélection naturelle sont donc les conséquences d'une lutte pour la survie.
À chaque bec son menu
Un exemple parfait de sélection naturelle est la variété de becs présents chez les oiseaux. Darwin établit les bases de sa théorie de l'évolution en observant notamment le bec des pinsons des Galápagos. Cette forme de bec leur permet de trouver leur nourriture de manière bien spécifique et de maintenir la compétition avec les autres oiseaux au strict minimum. Notre nature abrite par exemple des becs coniques destinés à ouvrir les graines (pinson, moineau domestique), des becs fins et pointus qui servent à attraper les insectes (rouge-gorge), des becs plus longs qui permettent de fouiller la terre (barge à queue noire, étourneau), des becs robustes en forme de poignards pour attraper des poissons (héron cendré, grand cormoran), des becs filtreurs pour trouver les invertébrés dans l'eau (certains canards, les oies, les cygnes) et des becs acérés et crochus pour déchiqueter les proies (autour des palombes, faucon pèlerin).
À gauche : un pinson à bec conique, au milieu : un rouge-gorge avec un bec en forme de pincettes et à droite : un faucon pèlerin au bec crochu
Une magie bourdonnante
La sélection naturelle a aussi doté les bourdons de certaines adaptations bien utiles pour chercher leur nourriture. Ces pollinisateurs essentiels volent de fleur en fleur pour sucer leur précieux élixir : le nectar. L'une des fleurs préférées des bourdons est la consoude. Celle-ci est assez profonde, et seuls les bourdons aux langues les plus longues tels que le bourdon des jardins et le bourdon des champs peuvent accéder au nectar. Certains bourdons à langue courte comme le bourdon terrestre ont quant à eux appris à percer un trou sur le côté des fleurs et à aspirer le nectar par cette ouverture. D'autres tels que le bourdon des prés ne font pas de trous mais se servent des ouvertures percées par d'autres bourdons. Si ces amateurs de nectar ne vous surprennent pas encore, sachez qu'ils sont capables de déterminer les fleurs qui contiennent le plus de nectar à distance et se rendent donc exclusivement sur ces dernières. Ils survolent les fleurs mais n'atterrissent jamais sur un exemplaire exempt de nectar. Des études ont prouvé que les bourdons et certaines abeilles laissaient des empreintes odorantes sur les fleurs après leur atterrissage. Quand un autre bourdon passe par le même chemin et sent une trace récente, il sait directement qu'un autre individu s'est rendu sur cette fleur et que celle-ci ne comporte plus de nectar ; il ne perd donc pas de temps. De plus, les bourdons sont capables de sentir la charge électrostatique des fleurs. Leurs mouvements en vol leur confèrent une charge électrique positive. Les fleurs ont en revanche une charge électrique négative, ce qui permet au pollen de s'accrocher facilement aux bourdons lorsqu'ils se posent. Dès que le bourdon s'envole, la charge négative de la fleur se modifie légèrement. Les bourdons ne sentent donc pas uniquement les traces de leurs congénères, mais aussi la charge électrostatique de la fleur grâce à des cristaux magnétiques et aux petits poils qui recouvrent leur corps. Un vrai tour de force de notre nature !
Des percussions sans maux de tête
Lors de la répartition des divers talents, Mère Nature avait plus d'un tour dans son sac et a gâté le percussionniste des bois : le pic. Cet oiseau frappe le bois de son bec pour trois raisons : pour impressionner les femelles (coups périodiques), pour trouver de savoureux insectes (en bougeant et en donnant de petits coups) et pour bâtir un nid. Il peut taper sur un arbre jusqu'à 12 000 fois par jour et frappe 20 fois par seconde. Heureusement, la sélection naturelle a épargné certains spécimens des maux de tête liés à ces tics-tacs incessants, et ces oiseaux trouvent plus facilement leur nourriture, ce qui leur permet de survivre et de se reproduire avec succès. De plus en plus de pics sont nés avec cette faculté et ont développé une anatomie résistante aux chocs. Les pics sont par exemple dotés d'un long bec élastique dont la partie inférieure est plus longue et transmet le premier choc à la solide mâchoire et au reste du corps, préservant ainsi le crâne. Les pics possèdent en outre un os poreux qui absorbe les chocs situé entre leur crâne et la partie supérieure de leur bec ainsi qu'une sorte de « coussin » en cartilage à la base du crâne. Ils ont de plus un petit cerveau qui ne baigne que dans une petite quantité de liquide céphalo-rachidien. Il reste donc bien en place dans leur crâne. Le pic possède enfin une paupière supplémentaire qui s'épaissit juste avant l'impact et évite ainsi que les yeux ne sortent de leurs orbites.
À gauche : consoude, au milieu : bourdon des arbres, à droite : pic épeiche
L'ultime reconnaissance
Charles Darwin n'aurait pas pu publier sa théorie de l'évolution et de la sélection naturelle en 1859 sans l'apport d'autres penseurs géniaux. Les Grecs Anaximandre de Milet et Aristote, l'Arabe Al-Jahiz, le Perse Al-Biruni et les plus contemporains Jean-Baptiste Lamarck, Geoffroy Saint-Hilaire, Georges Cuvier et Richard Owen ont chacun résolu une partie de cette équation complexe. Darwin et Alfred Russel Wallace ont ensuite apporté la touche la plus importante au XIXe siècle. Ces deux scientifiques sont parvenus chacun de leur côté à la même conclusion concernant le rôle de la sélection naturelle et ont décidé de publier leurs travaux en même temps. Leur œuvre révolutionnaire a ainsi reçu le reconnaissance qu'elle méritait. Les versions ultérieures des travaux de Darwin l'ont rendu plus célèbre que son contemporain Wallace, c'est pourquoi nous parlons aujourd'hui de « darwinisme » et non de « wallacisme ».
Et la lutte pour trouver l'amour !
Les organismes qui se reproduisent de manière sexuée doivent aussi faire face à la sélection sexuelle. Les femelles choisissent ainsi leur partenaire en fonction des caractéristiques masculines les plus attrayantes. Dans ce cas précis, ces caractéristiques ne déterminent pas en soi la survie dans un environnement hostile, mais indiquent seulement les mâles à l'apparence plus saine et plus puissante. Il s'agit donc d'une forme particulière de sélection naturelle qui ne concerne que la reproduction et non la survie d'un individu. Les mâles les plus attirants seront donc ceux qui auront la descendance la plus nombreuse et qui répandront ainsi leurs caractéristiques au sein de la population. La recherche de l'amour est une lutte à part entière que seuls les plus séduisants remporteront !
Le plus fort
Le lièvre est un exemple amusant de sélection sexuelle. Pendant la saison de reproduction (bouquinage), les mâles – les bouquins – deviennent agressifs et se battent. Ils se tiennent sur leurs pattes postérieures, sautent et se frappent. L'enjeu ? Les femelles. Après le combat, les bouquins se placent en cercle autour d'une femelle et le gagnant, c'est-à-dire le plus fort, peut s'accoupler avec elle. La fin de l'été est le théâtre d'une scène similaire chez les cerfs élaphes. Ils se battent également pour séduire les femelles. Les mâles plus âgés ont une ramure plus épaisse et plus lourde, mais c'est souvent le cerf le plus robuste et le plus fort qui acquiert le droit de s'accoupler avec les biches. Le lucane cerf-volant est un combattant tout aussi féroce. À partir du mois de juin, les mâles s'envolent à la recherche des femelles lors des chaudes soirées d'été. S'ils en trouvent une, ils doivent souvent s'affronter et tentent de mettre leur adversaire sur le dos grâce à leurs puissantes mandibules. L'accouplement n'aura lieu qu'après ce combat, et, comme vous pouvez vous en douter, c'est le mâle aux mandibules les plus puissantes qui aura cet honneur. Le mâle maintient ses mandibules au-dessus de la femelle afin de l'empêcher de s'échapper et pour que la fécondation soit un succès.
À gauche : des cerfs élaphes en plein combat, à droite : des lucanes cerfs-volants
Le plus beau
Les mâles les plus forts ne sont pas les seuls à avoir le privilège de s'accoupler avec la femme de leurs rêves. Dans la nature, les mâles de certaines espèces présentent des couleurs bien plus vives que les femelles, car ces teintes sont un signe de vitalité. Le mâle le plus bling-bling aura plus de chances de se distinguer que les plus ternes. Plus la différence de couleurs est flagrante entre mâles et femelles – on parle alors de dichromatisme sexuel –, plus la sélection sexuelle sera importante. Chez les grenouilles des champs, les mâles prennent une teinte bleue pendant la saison de reproduction pour séduire les femelles – et chantent pour augmenter leurs chances. La grenouille la plus bleue (qui n'est pas forcément la plus forte) a souvent le dessus. Les oiseaux mâles utilisent une technique de drague similaire. Les bouvreuils pivoines mâles exposent leur poitrine rouge clair, les panures à moustaches font la cour aux femelles grâce à leurs longues moustaches noires. Très masculin, n'est-ce pas mesdames ? Les combattants variés, quant à eux, paradent dans leurs collerettes colorées.
À gauche : bouvreuil pivoine, au milieu : panure à moustaches, à droite : combattant varié
Le plus attentionné
Les mâles attentionnés remportent aussi les faveurs de ces dames, comme le démontrent certains comportements. Les femelles martins-pêcheurs attendent par exemple des mâles qu'ils leur apportent un poisson. Ce n'est qu'après l'accomplissement de cette quête que l'accouplement pourra avoir lieu. Par cet acte, le mâle prouve qu'il souhaite s'impliquer dans la relation et que la femelle pourra dormir sur ses deux oreilles tant qu'elle sera à ses côtés. Un autre phénomène particulier est visible lors des ballets des grèbes huppés : mâles et femelles se lancent dans une danse spectaculaire sur l'eau. La barge à queue noire et le grand cormoran accomplissent eux aussi un rituel dansant pour séduire les femelles, car leur motivation sexuelle augmente durant cette danse. Plus le mâle est bon danseur, plus il aura de chances de conclure !
À gauche : martin-pêcheur, à droite : grèbes huppés en train de danser
Le meilleur musicien
La sélection se base enfin sur les compétences musicales des mâles. Les plus bruyants ou ceux qui chantent le mieux auront plus de chances de s'accoupler, car ils auront davantage de chances d'attirer une femelle qui se sera prise de passion pour leur chant. Le monde des oiseaux regorge d'exemples de sélection sexuelle effectuée sur base du chant, comme chez le butor étoilé, le rossignol et le rouge-gorge. Les amphibiens tels que les grenouilles vertes et les insectes comme les courtilières produisent leur plus beau chant pour séduire les femelles. L'évolution des chants et des bruits ne s'est pourtant pas effectuée uniquement en réponse à la sélection sexuelle. Comme ceux-ci servent également à défendre un territoire, la sélection naturelle a aussi favorisé les mâles les plus bruyants, car ils peuvent ainsi s'approprier une région contenant plus de nourriture et ont plus de chances de se reproduire et de survivre.
À gauche : rossignol qui chante, à droite : courtilière
Darwin dans la ville
La sélection naturelle n'est pas toujours un processus de longue haleine, comme le prouve l'adaptation rapide des organismes à un environnement urbain. La pression liée à la survie est si intense en ville que de petites adaptations donnent directement un gros avantage à ceux qui les développent et se répandent à la vitesse de l'éclair. En quelques générations, certaines caractéristiques qui facilitent la vie des plantes et des animaux au sein de nos villes hostiles peuvent s'implanter. Nous vous avions déjà parlé des faucons pèlerins qui nichaient en haut des buildings et pouvaient littéralement plonger sur les pigeons, des pissenlits dont les graines se faisaient plus lourdes afin d'avoir plus de chances de tomber sur de la terre fertile et non sur du béton, des papillons de nuit qui ont appris à éviter la lumière artificielle, des limaces qui ont adopté une couleur plus claire afin d'avoir moins chaud dans nos villes surchauffées, des araignées qui tissent des toiles aux mailles plus fines afin d'attraper de plus petites proies (car les plus grandes sont rares en ville), des merles urbains Turdus urbanicus qui sont devenus une espèce à part entière par le biais d'adaptations spécifiques, et des corneilles, probablement les habitantes les plus malignes de nos villes.
Dans son livre « Darwin comes to town », le biologiste Menno Schilthuizen nous emmène dans les villes et nous montre comment elles ont influencé l'évolution des organismes. Il compare nos villes aux colonies de fourmis. À l'instar des hommes, les fourmis sont de vrais ingénieurs : elles peuvent modifier l'environnement dans lequel elles vivent et le façonner selon leurs besoins. Les castors font de même. Comme les hommes, les fourmis bâtissent des villes, où elles forment une société organisée qui exploite son environnement via un réseau de routes. Les colonies de fourmis comptent également des milliers d'espèces évoluées comme les coléoptères, les mille-pattes et les acariens qui se sont adaptées à la vie des fourmis. Selon Menno Schilthuizen, le même phénomène est en cours dans nos villes : les organismes s'adaptent à la vie des hommes. Les pigeons plus foncés présentent un pigment qui peut inactiver les métaux lourds dangereux comme ceux émis par les gaz d'échappement. Leur plumage foncé leur confère donc un immense avantage en milieu urbain. Les moineaux domestiques ont aussi appris que les villes peuvent leur fournir des matériaux inattendus : les cigarettes. Les trottoirs qui regorgent de mégots sont malheureusement légion ; les moineaux ont donc commencé à rassembler ces mégots pour renforcer leurs nids, car ceux-ci repoussent les insectes. Nous ne vous encourageons bien évidemment pas à jeter vos mégots en rue, surtout au vu des dégâts qu'ils occasionnent à la nature ! Ne vous en faites pas pour les moineaux : ils utilisent les feuilles dont les plantes contiennent des répulsifs naturels contre les acariens, les poux et les puces.
À gauche : épeire diadème, au milieu : « Darwin comes to town » de Menno Schilthuizen, à droite : moineau domestique
Ces exemples ne doivent pourtant pas nous convaincre que la symbiose entre l'homme et la nature est parfaite. Les rapides capacités d'adaptation de certains organismes ne les sauveront pas des changements climatiques. Pour chaque organisme qui s'épanouit en ville ou qui s'adapte aux changements climatiques, des dizaines d'autres ne réussissent pas à survivre. Il est donc vital que nous continuions à protéger et à restaurer la nature autant que possible.