La passion particulière de l’homme qui écoutait les oiseaux
Il existe autant de façons d’apprécier la nature que de personnes sur terre. Même dépouillé d’un sens, nous pouvons mettre les autres à profit pour découvrir ce qu’elle a à nous offrir. Aujourd’hui, nous faisons la connaissance d’Harry Viaene, ancien pianiste du groupe Buurman et passionné des oiseaux. Bien qu’aveugle de naissance, son handicap ne l’a jamais empêché de se balader dans la nature environnante. Il s’est d’ailleurs spécialisé dans l'identification des oiseaux. Pour la plupart des gens, ce brouhaha de chants entremêlés ne forme qu’un bruit de fond, mais Harry est capable de différencier chacun d’eux.
La musique : un apprentissage à l’écoute de la nature
La passion d’Harry pour la nature est née grâce à un professeur de l’ancien collège Saint-Joseph de Tielt. « En quatrième secondaire, j’étais hypnotisé par les histoires de mon professeur de géographie, Noël Lievrouw, président de l’ASBL De Torenvalk pendant son temps libre. Cette association a plus tard fusionné avec Natuurpunt (l’équivalent flamand de Natagora). Pendant ses cours, il nous racontait les expéditions qu’il entreprenait à la recherche d’oiseaux avant de commencer sa journée. En tant que musicien, je m’employais déjà à reconnaître les sons, mais c’est lui qui a éveillé ma fascination pour les mélodies de la nature. J’ai pris mon courage à deux mains et je lui ai demandé si je pouvais l’accompagner. »
Harry décrit cette expérience comme un véritable déclic. « Ce matin-là, nous avons pris la direction de Beernem, je m’en souviens comme si c’était hier. Sur le peu de temps que nous y sommes restés, nous avons entendu 20, peut-être même 25 chants d’oiseaux différents. J’ai rapidement appris à les différencier et je ne me suis jamais lassé de ce hobby depuis ce jour. J’ai commencé à écouter les oiseaux un peu partout et j’ai découvert les espèces que notre jardin recelait. Je n’y avais jamais pensé auparavant.
Connaître la nature comme sa poche
Le printemps est la meilleure période de l’année pour écouter le chant des oiseaux, et en cette saison, Harry est souvent à l’extérieur : « En général, je vais me promener avec mon chien Oreo. Il est toujours ravi de venir avec moi, même quand je me mets en route très tôt (voire trop tôt). Les oiseaux sont particulièrement bavards entre fin février et juillet, mois durant lesquels je vais les écouter. Je me déplace habituellement à pied dans des endroits proches de chez moi, comme des zones marécageuses ou des landes. Je préfère les endroits calmes, où l’on n’entend pas le bruit des voitures car l’expérience est plus agréable. Je connais tous les chemins des environs et je peux me balader des heures durant avec Oreo à mes côtés. Si je me perds, je peux me servir du GPS de mon smartphone. De temps en temps, je discute avec d’autres ornithologues amateurs. Nous partons alors en voiture à la recherche d’autres sites, plus lointains, où nous pouvons entendre d’autres espèces d’oiseaux.
Rossignol
Le premier pouillot véloce de l’année
Harry a encore des contacts réguliers avec son ancien professeur : « Parfois, j’entends des oiseaux que je ne connais pas. Je transporte donc toujours mon enregistreur pour pouvoir les réécouter. Sur place, je précise en chuchotant à quel endroit précis je me trouve et je peux ensuite commencer mes recherches. Des applications telles que BirdNET m’aident souvent, mais parfois je demande l’avis de Noël Lievrouw en lui envoyant un fichier mp3. Nous avons aussi lancé notre compétition amicale : c’est à celui qui entendra le premier pouillot véloce et le premier martinet de l’année. En général, c’est moi qui gagne, mais pas uniquement grâce à mon ouïe : les oiseaux migrateurs voyagent à travers la région dans laquelle j’habite avant d’arriver à Tielt. Je suis d’ailleurs étonné de les entendre de plus en plus tôt. Cette année, j’ai perçu le chant d'un pouillot véloce vers le 3 mars, alors que le premier de l’année dernière était le 10 mars et seulement aux alentours du 20 mars en 2013 ou 2014. Les autres oiseaux chanteurs reviennent aussi plus tôt en Belgique, comme la fauvette à tête noire ou le rougequeue noir. »
Une année sans rossignol est une année perdue
Notre entretien a mis en évidence l’amour d’Harry pour chaque oiseau. Il nous a expliqué avec beaucoup de poésie les différences qu’il percevait dans leurs mélodies. « Le rire du pic vert, la complainte nocturne de la chouette hulotte, le chant puissant de la grive musicienne, la fantastique ritournelle du merle… Je ressens tout de même le besoin d’entendre certains oiseaux. Le rossignol est par exemple une espèce que je veux trouver chaque année. Pourquoi me fascine-t-il à ce point ? Son chant est merveilleux et on ne l’entend que la nuit, quand tout le reste est silencieux. Si vous avez de la chance, vous pourrez aussi percevoir le doux bruit de crécerelle de la locustelle tachetée. Sa voix seule justifie de se lever à 4h du matin ! Le bruant jaune et l’alouette des champs sont aussi des indispensables à la réussite de ma saison. »
Chevalier aboyeur
À l’écoute de « nouveaux » oiseaux
Certains ornithologues rédigent des listes complètes d’observations, mais Harry n’en fait pas autant. « Je renseigne les espèces que j’ai entendues sur waarneming.be, mais je n’essaie pas absolument de rencontrer tous les oiseaux indigènes. La découverte d’une nouvelle espèce ne me laisse pas indifférent pour autant. Cette année par exemple, j’ai entendu un traquet motteux pour la première fois de ma vie : cet oiseau n’est pas si rare, mais j’étais heureux de cette découverte. »
Cette année, Harry a également approfondi ses connaissances sur les échassiers. « Ils sont plutôt faciles à repérer, mais comme je ne peux me fier qu’à mes oreilles, c’est un peu plus compliqué pour moi. Ils restent souvent à distance et jacassent les uns avec les autres. Leurs « piou piou » se ressemblent très fort, mais ils comportent quelques différences subtiles. J’en ai donc appris davantage sur le cri de l’avocette élégante, du chevalier aboyeur et de l’huîtrier pie. Je ne m’y connais pas vraiment non plus en canards : je n’entends que des « coin coin », comment savoir si c’est le bruit d'un canard sauvage ? Je vais certainement me pencher plus sur ce groupe dans un futur proche. »
Quand nature et musique ne font plus qu’un
Jusqu’à présent, Harry n’a jamais tenté de concilier ses passions, les oiseaux et la musique, mais il en rêve. « Dans les années 1990, ma famille écoutait une émission sur Radio 1 qui s’appelait ‘La fin du monde’. Elle relatait des récits de voyages qui étaient mis en musique, et des bruits d’oiseaux subtils constituaient le fond sonore. J’ai aussi entendu parler d’un artiste français qui avait apposé des chants d’oiseaux sur une mélodie au piano. Je rêve de créer moi aussi de la musique en pleine nature, ce serait parfait ! »