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Comment le loup booste-t-il la biodiversité ?

L’arrivée d’un super-prédateur dans notre pays est une bonne nouvelle pour la nature. Elle couronne de succès le travail acharné des associations et des gestionnaires de la nature dans leurs tentatives pour agrandir et relier nos zones naturelles. Une espèce aussi exigeante que le loup ne peut se reproduire qu’au prix de ces nombreux efforts. Maintenant, c’est au tour du prédateur de contribuer au développement de son territoire, car les loups ne se contentent pas de chasser le gros gibier, mais amènent également avec eux des formes de vie inattendues.

Les super-prédateurs sont aussi bénéfiques pour leurs proies

À première vue, l’arrivée d’une meute de loups doit représenter une sacrée pression pour les populations de proies. Mais selon Judith Sitters, écologiste qui étudie les effets des grands herbivores sur les écosystèmes à la VUB, les enjeux sont nettement plus nombreux. « La présence d’une nouvelle espèce qui arrive soudainement et s’établit d’un coup au sommet de la chaîne alimentaire est évidemment un changement radical. Pendant des années, la nature belge a dû se réguler sans super-prédateur et les chevreuils, sangliers et cerfs élaphes n’avaient pas d’ennemi naturel, mis à part l’Homme et les accidents de la route. Maintenant que le loup est enfin revenu, il est logique que son impact sur les autres maillons de la chaîne soit énorme. Et je ne parle pas ici uniquement de la chasse aux proies : le loup va aussi provoquer des modifications dans leur comportement.

La notion en jeu est appelée « Landscapes of fear », ou « paysages de la peur », et apparaît lorsqu’une population de loups s’établit à un endroit donné. « Les proies vont éviter les lieux où elles se sentent en danger, ce qui a des conséquences importantes sur la nature environnante. Cet effet a été décrit en détails lorsque des dizaines de loups canadiens ont été réintroduits dans le parc de Yellowstone, aux Etats-Unis, en 1995. Les cerfs se sont mis à éviter certaines zones, comme les abords des rivières. Les jeunes arbres pouvaient alors croître naturellement et la forêt a commencé à s’étendre. Une bonne nouvelle pour les castors, qui se sont lancés dans de vastes opérations de construction. Leurs travaux ont même réussi à déplacer les lits des cours d’eau. Tout cela grâce aux loups ! Eaux calmes et eaux vives se sont alternées et ont créé des mares çà et là. Un véritable coup de boost pour la biodiversité : le nombre d’espèces de poissons, d’oiseaux et d’insectes a augmenté à vue d’œil. Les super-prédateurs provoquent une « cascade trophique », qui se déverse sur la chaîne alimentaire telle des trombes d’eau. »

Les animaux ne sont d’ailleurs pas les seuls à ressentir de telles conséquences. Pour Judith, la flore peut avoir un aspect radicalement différent après l’arrivée d’une seule espèce de super-prédateurs : « Le taux d’azote et de phosphore change dans le sol des zones qui abritent moins d’herbivores, simplement parce que les excréments et les traces d’urines sont moins nombreux. Il se peut alors que les plantes qui poussaient avant doivent laisser place à de nouveaux végétaux. Les excréments de lapins renferment par exemple beaucoup plus d’azote que de phosphore, ce qui fera croître une plus grande variété de végétaux. Ils favorisent ainsi la biodiversité de la flore.

L’Europe n’est pas semblable au parc de Yellowstone

La théorie des paysages de la peur rassemble de plus en plus d’adeptes parmi les écologistes et au sein du grand public. Un bon exemple est la vidéo YouTube  « How Wolves Change Rivers », visionnée près de 43 millions de fois. Cependant, le parc de Yellowstone abrite plus de 9 000 km2 de nature sauvage que la main de l’Homme n’a pas touchée – soit l’équivalent des provinces de Liège, du Luxembourg et du Brabant wallon. Pouvons-nous en conclure que les ongulés se comportent de la même manière dans le cas qui nous occupe ? Bjorn Mols, un écologiste belge doctorant à la Rijksuniversiteit Groningen, étudie le phénomène sur le continent européen, dans des régions dont la géographie est plus proche de la réalité de notre pays.

Le groupe de chercheurs dont fait partie Bjorn étudie depuis une dizaine d’années les relations entre le loup et le comportement des cerfs élaphes dans la forêt primaire de Białowieża, en Pologne. Cette zone naturelle de grande taille (1 500 km2) diffère du parc national américain de par l’homogénéité de ses paysages. De plus, les activités humaines ne sont jamais loin. Les chercheurs ont découvert que la zone centrale du territoire des loups était moins fréquentée par les cerfs, car les dégâts causés aux jeunes arbres étaient moins nombreux (8%). Bjorn nous explique : « Même dans les cas « d’obstructions d’habitat », comme lorsque des arbres abattus empêchent d’avoir une vue dégagée sur le danger, les plantes ont plus de chances de croître. Des pièges photographiques nous ont montré que les cerfs élaphes sont bien plus en alerte dans ces zones : ils surveillent plus fréquemment leur entourage, ne prennent que quelques bouchées à la fois et dressent leurs oreilles en permanence. Comme ces comportements sont observables uniquement dans la zone centrale du territoire des loups, nous pouvons en conclure que la présence de ces super-prédateurs a un impact non négligeable sur le rajeunissement de la forêt et favorise la biodiversité, même à petite échelle. Nous avons appelé cet effet « patches of fear » ou « parcelles de la peur », par rapport aux paysages de la peur qui couvrent des zones bien plus grandes dans le parc de Yellowstone.

Ce film montre une proie en alerte après le passage d'un loup dans le cours de la nuit.

Relation triangulaire entre la proie, le loup et l'homme en tant que super-prédateur

Si nous observons la nature d'encore plus près, nous remarquons que certains comportements sont récurrents chez les grands herbivores. « Ils se méfient des humains comme de la peste », explique Bjorn, « et il ne faut surtout pas sous-estimer cet effet. L'homme, en tant que super-prédateur, influe sur la présence des proies ET des prédateurs. Dans les zones où les hommes sont présents, des troupeaux entiers de gros gibier se déplacent par exemple vers des zones de calme où il est interdit de se promener. Les sentiers de promenades sont longés par des 'corridors de la peur' : les proies ne se montrent que rarement sur plusieurs dizaines de mètres entourant les sentiers. Les animaux évitent surtout ces zones pendant la journée mais ne semblent pas perturbés en pleine nuit. Les humains sont des créatures prévisibles ! Suite à l'arrivée du loup, le gibier doit tout d'un coup tenir compte d'un prédateur actif également pendant la nuit. De plus, les loups s'établissent principalement dans les mêmes zones de calme que les proies, là où ces dernières étaient maîtresses de leur domaine jusque maintenant. Il est à présent légitime de se demander si les cerfs et les sangliers retourneront dans les zones inhabitées quand le loup sera à l'affût. Dans les zones fortement peuplées comme la Belgique et les Pays-Bas, il faut étudier la situation dans son ensemle : il ne sert à rien de se concentrer uniquement sur la présence du loup alors que l'être humain domine la région. »

Pour ce faire, Bjorn a placé des pièges photographiques depuis le milieu de l'année dernière sur le territoire d'une meute de loups dans le parc national De Hoge Veluwe. Il attend les résultats avec impatience, car cette région de forêts et de lande a beaucoup de points communs avec Bosland, dans le Limbourg. Bjorn « nous sommes curieux de voir comment se comportent les ongulés sauvages ; comment s'adaptent-ils à la présence d'une famille de loups ? Vont-ils se montrer plus craintifs et être plus en alerte ? Eviteront-ils les hommes en journée pour se retrouver sur le territoire des loups ou au contraire rechercheront-ils la compagnie des êtres humains pour se protéger de leur prédateur, comme nous l'avons déjà observé chez des populations d'élans ? Qu'apporteront ces changements de comportement potentiels à la faune et à la flore locales ? Pour l'instant, nous ne pouvons que spéculer. Qui sait, peut-être notre étude mettra-t-elle en lumière des effets auxquels nous n'avions jamais pensé ! »

Quatre loups néerlandais passent dans le champ de vision de la caméra

Le loup influe sur la santé des ongulés et la présence des charognards

Revenons sur les avantages directs de la présence d'un super-prédateur dans un écosystème. Les bergers et agriculteurs non professionnels en sont malheureusement témoins : le loup préfère les proies faciles. Dans la nature, ce comportement a des avantages, nous explique Judith : « Le loup préfère être paresseux plutôt que se fatiguer et économise ainsi de l'énergie à d'autres fins. Pourquoi perdrait-il son temps à chasser une biche rapide et en bonne santé qui risquerait de lui échapper alors qu'il peut opter pour un spécimen plus faible qui est quand même condamné à mourir ? Il influe ainsi sur la santé des populations de proies : les plus faibles disparaissent et les maladies sont éradiquées au sein du troupeau car leurs porteurs meurent. »

Reste encore la question des charognards, qui vont se frayer un chemin vers les zones de chasse des grandes proies. « De temps en temps, des vautours se posent en Flandre, peut-être seront-ils bientôt davantage présents grâce aux loups. », suppose Judith, « car ces derniers abandonnent les carcasses de leurs proies derrière eux et attirent ainsi une faune bien spécifique – que nous appelons les entrepreneurs de pompes funèbres de la nature. Sont compris dans cette catégorie les corbeaux et les blaireaux, qui peuvent ainsi profiter de sources de protéines faciles à dénicher. De plus, certains insectes comme les coléoptères se sont spécialisés dans l'élimination des substances mortes. » Cet aspect est déjà visible dans le Limbourg : depuis le retour des loups, les corbeaux sont revenus nicher pour la première fois.

Un loup dévore une carcasse de cerf

Apprendre à cohabiter avec le loup

Nous ne savons pas encore exactement comment le loup va influencer la biodiversité de notre pays. « Ce qui est sûr, c'est que le retour d'un super-prédateur est toujours bon pour le fonctionnement des processus naturels dans un écosystème », explique Bjorn. « Les effets seront peut-être plus subtils et complexes que dans une région aussi grande que le Yellowstone, mais nous pouvons supposer que les niveaux trophiques plus bas bénéficieront de la présence du loup. Nous devons encore attendre de voir comment l'homme et ses activités s'intègrent dans ce calcul. L'effet combiné du loup et de l'être humain sur les proies est loin d'avoir été étudié dans son ensemble. Chacun est libre d'avoir son avis sur le retour du loup, mais il faut reconnaître que l'animal s'est bel et bien installé et ne va pas repartir pour l'instant. Il vaut mieux apprendre à cohabiter et laisser une place au loup dans la manière dont nous gérons notre nature. »

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